• 14 mai 2024

« EGALITÉ ET CITOYENNETÉ », LE DERNIER TOUR DE PISTE D’UN GOUVERNEMENT ACCULÉ

En janvier 2015, après les attentats perpétrés à Charlie Hebdo et à l’Hyper Casher de Vincennes le Premier Ministre, Manuel Valls, évoquait « un apartheid territorial, social et ethnique » en France. Il aura fallu attendre 15 longs mois pour que le gouvernement décide d’inscrire, en urgence, un projet de loi présenté comme une réponse aux fractures sociales et sociétales de notre pays, qui trouvent une expression particulièrement violente et dramatique ces derniers mois.

L’intention est louable, et nul ne peut méconnaître la difficulté à légiférer quand les constats sont aussi sombres. Comment, dans ces conditions, ne pas souscrire à l’ambition du gouvernement de renforcer l’égalité entre nos concitoyens et d’œuvrer à un exercice plus incarné de la citoyenneté? Encore faut-il que le souffle, le sens et même la finalité du projet emportent l’adhésion.

Examiner les causes profondes qui conduisent une partie de la jeunesse, et pas seulement la jeunesse, à la désespérance est, naturellement, un objectif partagé par tous. Ce projet de loi comporte des avancées dont certaines, prises une à une, peuvent être intéressantes, notamment en matière de lutte contre les discriminations. Par exemple les dispositions sur le service civique.

Mais ce projet de loi peut-il apporter un début de réponse aux attentes immenses et aux failles durables de notre contrat social ?

Ce qui conduit nos voisins anglais à se replier sur leurs frontières avec le Brexit nous guette depuis longtemps, sans que rien n’ait été fait pour tenter d’apporter, avec lucidité et pragmatisme, des réponses de fond aux tensions qui dissolvent insidieusement notre modèle républicain.

D’où vient-on et où va t’on ? C’est la question que l’on se pose en lisant ce projet de loi présenté en fin de quinquennat, alors que la gauche est exsangue, la majorité éparpillée et la France bloquée.

Avant même l’examen de ce texte, il s’agit déjà là d’un point de faiblesse que le gouvernement ne pourra lever : le calendrier et le contexte politique ne créent pas les conditions d’une unité autour du projet de loi, comme en témoignent les 1000 amendements déposés par les seuls députés socialistes.

Et ce n’est pas le seul talon d’Achille de ce texte. Ce projet de loi intitulé « Egalité et citoyenneté » s’appuie sur des constats très généraux, et peine à fixer un cap. Il a vocation à « faire vivre » une « République en actes » d’autant plus « fédératrice » qu’elle « se manifestera dans le quotidien des Français ». Soit.

Mais qu’entend-on par « faire vivre », cette expression qui revient en boucle, qu’il s’agisse de faire vivre « la fraternité », « l’égalité », « les valeurs de la République », « les idéaux républicains » ou « le sentiment d’appartenance à une collectivité publique » ? Ce que vingt ans de pouvoir politique, de droite comme de gauche, n’ont pas su corriger, ce projet de loi, par la magie du texte, saurait l’infléchir ? Le gouvernement ne pêche t’il pas, une nouvelle fois, par excès de confiance et d’angélisme ?

Régénérer les valeurs fondatrices de notre modèle républicain suppose de renoncer aux formules incantatoires auxquelles les Français n’adhèrent plus, précisément parce que la dimension d’intérêt général de notre devise républicaine n’est plus ni perçue ni comprise.

Or il suffit de lire ce texte pour s’en convaincre, ce n’est pas avec un catalogue de mesures disparates que l’on crée l’adhésion. Nous sommes en présence d’un inventaire à la Prévert, dont le caractère désordonné est encore renforcé par 45 articles additionnels.

Comment convaincre nos compatriotes quand le gouvernement nous présente un milk-shake législatif allant de la parité dans les instances académiques à la définition des auberges de jeunesse ou la fréquence des ventes au déballage ? Est-ce cela « faire vivre les valeurs de la République » ?

Quelles mesures-phares propose t’on pour donner aux Français le sentiment qu’« enfin, ça bouge » ! ? Quel revirement dans les pratiques, les usages, les méthodes ce texte impulse-t’il ? Que retiendra-t’on, in fine, de ce projet de loi ?

Espère-t’on une rupture par l’affirmation orgueilleuse du principe « d’ardente obligation pour la Nation tout entière de permettre la réalisation d’un engagement citoyen » ? Pense t’on qu’avec des formules aussi creuses, on redonnera espoir à des jeunes en mal de sens, et que l’on renforcera le rôle du législateur dans la mise en œuvre d’un projet d’avenir pour notre pays ?

Le projet de loi « Egalité et Citoyenneté » ne comporte pas, dans son ADN, la volonté de fédérer. Bien plus, il crée les conditions de la désunion et de la désorganisation.

Un seul exemple, celui du logement social. Tous les maires le savent, la loi est déjà très contraignante : elle perd les administrations comme les demandeurs de logement dans les méandres de démarches longues et complexes. Avec le titre II, on renonce à simplifier le secteur du logement social. On tourne le dos à l’objectif recherché puisque, précisément, on modifie et élargit les critères de priorité, on crée des quotas supplémentaires, on prévoit un nombre croissant d’intervenants dans l’élaboration des plans et des conventions.

Plus préoccupant, la loi continue d’ériger les maires en ennemis au lieu d’en faire des partenaires pour la réussite d’une politique nationale du logement social, dont on attend toujours les principaux axes.

Quelle arrogance il y a à prétendre résoudre la question du logement social sans y associer les principaux acteurs, alors qu’il conviendrait au contraire de s’astreindre à un travail de dentelle, permettant de dégager, localement, des solutions !

Pourquoi ne pas choisir de doter davantage les communes qui font du logement social plutôt que de mobiliser tous les moyens coercitifs pour étouffer celles qui sont carencées ? La contradiction est évidente : d’un côté la réduction autoritaire et aveugle des moyens financiers des communes carencées, c’est-à-dire n’ayant pas atteint le quota de 25% de logement social fixé par la loi SRU, de l’autre la volonté que ces mêmes communes rattrapent leur retard en matière de logement social !

Le gouvernement préfère renforcer encore l’arsenal de sanctions, telle l’augmentation du taux de prélèvement de 20 à 25% du potentiel fiscal par habitant ou la multiplication par 6 des contributions communales au financement des opérations de construction décidées par les préfets.

Dans quel but ? Améliorer le logement social ? Certainement pas. Il s’agit de mesures hypocrites visant, vulgairement, à remplir les caisses de l’Etat.

Quant à l’article 31 bis, il prévoit que les communes carencées au titre de la loi SRU ne seront plus éligibles à la dotation de solidarité urbaine (DSU). En d’autres termes, plutôt que de contribuer à l’amélioration des conditions de vie dans les communes urbaines confrontées à une insuffisance de ressources et supportant des charges élevées, le gouvernement juge prioritaire de les priver encore davantage de subsides !

Où est la réflexion, l’écoute, la compréhension des territoires et des communes ? Le gouvernement est-il à ce point sourd et aveugle pour ne pas comprendre qu’une commune bénéficiant de la DSU est une commune accueillant par essence des publics fragiles nécessitant précisément de l’attention ?

Il y aurait donc des Français en difficultés que l’on aiderait plus ou moins selon leur lieu de résidence ? Si l’on suit ce raisonnement, l’objectif de mixité sociale que l’on prétend défendre en imposant une politique de peuplement arbitraire aux communes conduirait les publics les plus fragiles désignés pour peupler les communes carencées à être moins aidés et accompagnés que s’ils demeuraient dans leur commune d’origine ?

Dans le même esprit, où est la logique de priorité lorsque l’on continue à prétendre que les deux tiers de la population française sont éligibles au logement social ? Ne devrait-on pas plutôt s’intéresser au 10 à 12% des Français qui ne peut pas se loger sans intervention de la puissance publique ?

La politique du logement mobilise plus de 45 milliards d’euros par an, soit plus de 2,2% du PIB, record d’Europe des dépenses pour ce secteur. Pour quel résultat ?

Les choix politiques et idéologiques depuis les 1ère lois dites Gayssot, du nom du Ministre communiste de l’époque, sont injustes et inefficaces : 70% de la population sont éligibles au logement social, mais seulement 25% des ménages les plus modestes en bénéficient !

A quel moment, le gouvernement interroge-t’il les communes carencées sur les raisons qui les empêchent de construire davantage de logements sociaux ? Cultivant une logique manichéenne, il considère encore qu’il y a ceux qui en veulent bien et ceux qui n’en veulent pas. Ceux qui sont égoïstes et ceux qui sont généreux. Caricatural.

Dans la commune dont je suis MaireSaint-Maur-des-Fossés, ville dite carencée, plus de 50% des habitants sont éligibles au logement social, et il y a un Quartier Prioritaire au sens de la politique de la ville. Nous sommes loin du ghetto de riches que certains aiment à décrire. L’harmonie de Saint-Maur-des-Fossés ne trouve pas et ne trouvera pas sa source dans la contrainte de l’Etat, mais dans le contrat.

La question est beaucoup plus complexe que les termes dans lesquels le gouvernement entend une nouvelle fois la poser. Si elle était aussi simple, elle aurait été réglée depuis longtemps !

En pratique, le projet de loi revient à légiférer pour deux douzaines de communes carencées, dont quelques-unes seulement sont réfractaires. Autrement dit, la loi ne vise pas la politique du logement social en général, elle ne poursuit pas un objectif d’intérêt général, elle veut se concentrer sur quelques exemples de communes mises au pilori – une solution de facilité pour laquelle, au passage, il est plus facile de s’assurer une couverture médiatique.

Par ailleurs, à continuer de vouloir construire en zones urbaines tendues, on crée une difficulté supplémentaire. Dans ma commune, par exemple, la densité est deux fois supérieure à celle du département du Val-de-Marne. Nous sommes en zone inondable au titre du PPRI, le foncier est cher, les équipements publics au maximum de leur utilisation. Quel sens y a t’il à vouloir densifier encore alors que les conditions ne sont pas réunies pour accueillir de nouveaux habitants ? Que l’on songe seulement aux écoles ou aux équipements sportifs… Pense t’on pouvoir construire du jour au lendemain les équipements publics requis alors qu’il n’y pas de foncier disponible et que l’Etat nous coupe tous les crédits ?

Et, plus profondément, s’interroge t’on sur les conditions dans lesquelles s’inscrivent les programmes de logements sociaux, comme le font les maires ?

Suffit-il de décider de la réussite scolaire des élèves ? Non ! Suffit-il de décider du plein emploi ? Encore moins ! Pour les mêmes raisons, il ne suffit pas de brandir la mixité sociale comme un étendard, en supposant que la contrainte lèvera toutes les difficultés.

Encore faut-il créer les conditions, sur le temps long, de sa mise en œuvre. C’est ce à quoi les Maires s’emploient.

Sur le terrain, nous sommes nombreux à observer qu’il est plus efficace de développer des programmes de logements sociaux à taille humaine, progressivement, pour tenir compte à la fois des besoins des demandeurs de logements et laisser le temps aux habitants de s’habituer à l’idée que la mixité peut être bien vécue ! Non, la bonne méthode n’est pas la brutalité, l’actualité en fournit au gouvernement des exemples quotidiens.

L’expérience montre qu’en matière de logement social, il vaut mieux prévoir des aménagements mixtes, et anticiper la nécessité éventuelle d’accompagner les fragilités des adultes et des enfants qui vont y vivre, plutôt que de créer des poches de détresse sociale qui risquent de forger ou renforcer les phénomènes d’exclusion.

Or curieusement, les Maires sont écartés du projet de loi, malgré les déclarations appuyées de François Hollande lors du dernier Salon des Maires ! Un seul exemple : la transmission des données sur le parc social prévoit que les agences d’urbanisme et les CAUE soient destinataires des données d’enquête des bailleurs sociaux. Pas les Maires !

Plus préoccupant, le texte entend apporter un contre-pouvoir aux Maires en élargissant les prérogatives des EPCI et les pouvoirs du préfet par substitution. Il réaffirme la position d’ensemble du gouvernement socialiste à l’égard des Maires, à savoir une position de défiance. Or qui, mieux que le Maire, connaît son territoire ? Quel bénéfice espère-t’on obtenir en éloignant davantage le demandeur social de la commune ?

Mais prenons même l’hypothèse d’une intercommunalisation du logement, alors pourquoi continuer à punir les communes ? Allons jusqu’au bout du raisonnement à l’instar de Paris qui consolide ces obligations au niveau du territoire parisien ! Y aurait-il deux poids deux mesures ?

En préférant la contrainte au contrat avec les Maires, on met un terme à la confiance que les acteurs locaux ont su tisser. En qualité de Maire, le travail que j’ai pu entreprendre a permis de dépasser le cadre strict du Contrat de mixité sociale (CMS) et ainsi de porter des projets ambitieux.

Par ce projet de loi, on va priver de la capacité de conviction des élus identifiés à priori comme des adversaires de mauvaise foi. Et créer dès lors un blocage financier et juridique majeur.

Plutôt que de contraindre, il faut libérer la construction de logements ; se concentrer sur les publics les plus fragiles ; aider les personnes plutôt que les bailleurs ; favoriser le parcours résidentiel jusqu’à l’accession à la propriété ; mettre fin progressivement à la loi SRU et préférer le contrat avec les communes et les territoires aux mesures coercitives inefficaces.

Plus généralement, quel manque de réalisme et de respect quand le gouvernement demande aux préfets d’assurer avec la même énergie la sécurité de nos concitoyens sur un territoire quotidiennement menacé et la mobilité des demandeurs de logements sociaux d’une commune à l’autre, tels des pions sur un échiquier !

Depuis quatre ans, le gouvernement de Manuel Valls s’érige tantôt en censeur tantôt en procureur pour niveler par le bas, opposer les acteurs, et recycler les vieilles recettes qui n’ont pas porté leurs fruits depuis 15 ans en France, et pas davantage chez nos voisins européens. Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que l’on s’inscrive, avec ce texte, dans l’affichage le plus caricatural en matière d’égalité, que le gouvernement imagine se muer en « égalité réelle » par le pouvoir de la pensée magique !

Les Républicains ne peuvent pas souscrire au principe de référent identifié, dit délégué du préfet, dans le cadre du renforcement des conseils citoyens dans la politique de la Ville, qui figurent au titre III, puisque le référent, dans les territoires, c’est le maire par essence. En revanche, ils souscrivent aux actions envisagées pour l’amélioration de la maîtrise de la langue française et à la valorisation des apprentis, mais regrettent de devoir exprimer une position qui se limite à distribuer des bons et des mauvais points à des mesures prises isolément, sans philosophie d’ensemble.

Mais l’objectif de renforcement de la langue française est hélas contredit de façon brutale par l’affaiblissement de l’apprentissage de l’orthographe et de la grammaire au collège par Najat Vallaud Belkacem.

Quant à l’affirmation du primat de l’égalité homme/femme, nous partageons pleinement l’objectif, qui va dans le sens de l’histoire. Il se traduit dans le texte par une stricte parité dans les jurys de concours ou la possibilité d’actions de groupe en cas de discrimination à l’embauche. Dont acte. Mais quelles solutions apportez-vous sur le terrain de l’égalité salariale, principale cause d’inégalité entre hommes et femmes en France ? On est loin, très loin des attentes des Français.

Ce projet de loi, c’est au fond le dernier tour de piste d’un gouvernement qui ne parvient pas à rassembler la gauche et, plus préoccupant pour la représentation nationale, qui ne parvient pas à rassembler les Français.

C’est le énième coup de force d’un gouvernement qui a failli, tout au long du quinquennat, à redonner à l’Etat et aux acteurs locaux leurs lettres de noblesse et leur capacité d’action.

Plus grave : il nie le principe de libre administration des collectivités territoriales, pourtant garanti par la Constitution, et fait des maires des boucs émissaires alors que ce sont les seuls acteurs politiques qui résistent à l’érosion de la confiance des Français.

Ce projet de loi aurait pu être une chance pour notre pays. Rapiécé, il court le risque de devoir être simplifié ou corrigé dans un véhicule législatif ultérieur, comme le furent avant lui la loi Macron ou la loi ALUR.

Rempli de mesures tantôt inapplicables tantôt anecdotiques, alternant vœux pieux et coups de bâtons symboliques, ce texte commet la triple erreur de rigidifier encore le secteur du logement social, de n’engager aucune réforme de fond, et de n’offrir aucune forme d’espérance à un pays en crise. En somme, il affaiblit simultanément l’exécutif et le législatif.

Il y a urgence à porter un projet alternatif, qui soit, cette fois, réellement porteur d’espérance. L’alternance nous y conduira.