• 13 mai 2024

LOGEMENT : L’ALTERNANCE SERA L’OCCASION DE REMETTRE EN CAUSE LA LOI SRU

Lors de la nouvelle lecture du projet de loi Egalité et Citoyenneté, j’ai défendu une motion de rejet l’Assemblée nationale après l’échec de la Commission mixte paritaire (voir la vidéo de mon intervention). Dans sa colonne vertébrale, il présente les mêmes faiblesses que le texte proposé en première lecture ; composite, pour ne pas dire désordonné, il poursuit des objectifs strictement politiques et à rassembler une gauche désunie. La navette avec le Sénat, qui avait permis d’enrichir sensiblement le titre 2 en faisant entendre la voix des communes, a été balayée d’un revers de main pour revenir pratiquement au texte initial. Illustration de l’échec d’une méthode et de l’inutilité d’un projet de loi qui n’offre aucune solution pragmatique et efficace.

Six mois après, sur un texte pour lequel le gouvernement avait demandé un examen en urgence, nous revoilà pratiquement à la case départ.

Le groupe Les Républicains souscrit naturellement à l’objectif affiché d’apporter des réponses aux fractures immenses de notre société, révélées dans la douleur par les atrocités commises sur notre sol depuis janvier 2015.

Comment, dans ces conditions, ne pas souscrire à l’ambition de renforcer l’égalité entre nos concitoyens et d’œuvrer à un exercice plus incarné de la citoyenneté? Encore faut-il créer l’adhésion autour du projet. L’occasion était belle, mais c’est, une nouvelle fois, une occasion perdue.

La lutte contre les discriminations, qui guide la rédaction de l’article premier comporte des avancées dont certaines, prises une à une, peuvent être intéressantes. Par exemple, les dispositions sur le service civique. Mais y a-t-il là matière à apporter un début de réponse aux attentes immenses et aux failles durables de notre contrat social ? C’est à en douter.

Ce qui conduit nos voisins anglais à se replier sur leurs frontières nous guette depuis longtemps, sans que rien ait été fait pour tenter d’apporter, avec lucidité et pragmatisme, des réponses de fond aux tensions qui fracturent notre modèle républicain.

Avant même l’adoption de ce texte, le calendrier et le contexte préélectoral ne créent pas les conditions d’une unité, comme en témoignent les milliers d’amendements déposés par les seuls députés socialistes sur ce texte, et le grand bond en arrière après la lecture pourtant constructive du Sénat.

Nous avons examiné à nouveau ce projet de loi « Egalité et citoyenneté », qui pêche largement par angélisme. Il n’est question que de « faire vivre les valeurs de la République », ce qui est en soi une bonne chose mais ne saurait suffire à rassembler : nos concitoyens n’adhèrent plus aux formules incantatoires.

Comment convaincre nos compatriotes quand le gouvernement présente un inventaire à la Prévert, dont nous avons perdu le fil d’Ariane au cours de la navette parlementaire ? Nous sommes perdus dans les méandres d’un labyrinthe législatif allant du fonctionnement des CROUS à la fréquence des ventes au déballage !

Et pourquoi avoir réintroduit un régime d’autorisation des écoles privées hors contrat par ordonnance, alors que le Sénat proposait un dispositif de contrôle largement suffisant et beaucoup plus souple ? S’agit-il ici d’égalité ou de dogmatisme ?

Le projet de loi du gouvernement est insuffisant par essence. Plus grave : il crée les conditions de la désunion et de la désorganisation, comme en témoignent les dispositions relatives au logement social.

La loi comporte déjà un arsenal très contraignant : les demandeurs de logements sont soumis à des procédures complexes et à des démarches longues. Avec le titre II, on renonce à simplifier le secteur du logement social puisqu’on modifie et élargit les critères de priorité, on crée des quotas en plus, et on augmente le nombre d’intervenants.

Plus préoccupant, la loi continue d’ériger les maires en ennemis au lieu d’en faire des partenaires pour la réussite d’une politique nationale du logement social. De ce point de vue, l’examen au Sénat aurait dû permettre d’enrichir le texte sur ces dispositions pour lesquelles les maires sont en première ligne.

Par exemple, lorsque le Sénat est revenu sur le taux de 25% fixé pour l’attribution des logements aux demandeurs les plus pauvres, en dehors des quartiers politique de la Ville, la voix des maires s’était faite entendre pour permettre au préfet et aux acteurs locaux d’adapter le taux en fonction de la situation locale. Le gouvernement est revenu dessus.

Le Sénat avait réintroduit une mesure de bon sens visant à prendre en compte le lien avec la commune lors de l’attribution des logements sociaux, qui aurait permis de conserver une cohérence, par exemple pour la scolarisation des enfants. Le gouvernement est revenu dessus.

Le Sénat prévoyait la possibilité de délégation par le préfet au contingent des maires, vous êtes revenus dessus. Le Sénat avait enfin insisté sur la nécessité que la voix du Maire soit prépondérante dans les commissions d’attribution. Là encore, le gouvernement est revenu dessus.

Ce faisant, c’est de toute l’expérience des maires dont vous avez choisi de vous priver, pour mieux réaffirmer avec dogmatisme des principes qui n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité, et ne la feront pas davantage à l’avenir.

Même chose pour les modalités d’application de la loi SRU : le Sénat proposait, avec bon sens et lucidité, que l’obligation de construction de logements sociaux repose sur un contrat d’objectifs et de moyens entre l’Etat et la commune, afin d’adapter les obligations de construction de logements sociaux à la situation de la commune. Cette avancée a été rejetée par le gouvernement.

La Haute assemblée envisageait également de ne pas soumettre les communes d’Ile-de-France de 1500 à 3500 habitants à l’obligation de construction de 25% de logements sociaux, cela relève de l’évidence mais le gouvernement a refusé !

Quant à l’élargissement des logements considérés comme sociaux, tels que le logement étudiant ou le logement en accession sociale à la propriété, dont les maires savent qu’ils relèvent bien d’une politique de logement social, le gouvernement a estimé qu’il ne pouvait pas en relever.

Il y a une forme d’inconscience à prétendre progresser sur la question du logement social sans y associer les principaux acteurs, alors qu’il conviendrait au contraire de s’astreindre à un travail de dentelle, permettant de dégager, localement, des solutions ! Le Sénat avait fait ce travail, mais ce gouvernement a estimé qu’il pouvait s’en affranchir.

Et que dire des communes carencées ! La contradiction crève les yeux : vous imposez la réduction autoritaire des moyens financiers des communes dites carencées, c’est-à-dire n’ayant pas atteint le quota de 25% de logement social fixé par la loi SRU, alors même que le gouvernement exige que ces mêmes communes rattrapent leur retard en matière de logement social !

Pourquoi ? S’agit-il d’améliorer l’offre de logement social ? Certainement pas. Il s’agit, prosaïquement, de remplir les caisses de l’Etat.

Même constat avec la réintégration de l’article 31 bis, réintroduit par la majorité contre l’avis du gouvernement. Il prévoit que les communes carencées au titre de la loi SRU ne seront plus éligibles à la dotation de solidarité urbaine, quel que soit leur taux de logements sociaux. Plutôt que de contribuer à l’amélioration des conditions de vie dans les communes urbaines confrontées à une insuffisance de ressources et supportant des charges élevées, la majorité de gauche entend les priver davantage de subsides !

Une commune bénéficiant de la DSU est une commune accueillant des publics fragiles nécessitant précisément de l’attention !

Il y aurait donc, selon le gouvernement, des Français en difficultés que l’on aiderait plus ou moins selon leur lieu de résidence ? Si l’on suit leur raisonnement, l’objectif de mixité sociale que le gouvernement prétend défendre en imposant une politique de peuplement arbitraire aux communes, conduirait donc les publics les plus fragiles désignés pour peupler les communes carencées à être moins aidés et accompagnés que s’ils demeuraient dans leur commune d’origine ?

Dans le même esprit, où est la logique de priorité lorsque le gouvernement continue à prétendre que les deux tiers de la population française sont éligibles au logement social ? Ne devrait-on pas plutôt s’intéresser au 10 à 12% des Français qui ne peut pas se loger sans intervention de la puissance publique ?

La politique du logement mobilise plus de 45 milliards d’euros par an, soit plus de 2,2% du PIB, record d‘Europe des dépenses pour ce secteur. Pour quel résultat ?

Les choix politiques et idéologiques du gouvernement depuis les 1ère lois dites Gayssot sont injustes et inefficaces : 70% de la population est éligible au logement social, mais seulement 25% des ménages les plus modestes en bénéficient !

Dans ma commune de Saint-Maur-des-Fossés, ville dite carencée, plus de 50% des habitants sont éligibles au logement social, et il y a un Quartier Prioritaire au sens de la politique de la ville. Nous sommes loin du ghetto de riches que certains décrivent. L’effort de la Ville en faveur du logement social ne trouvera pas sa source dans la contrainte, mais dans le partenariat avec l’Etat.

La loi ne vise pas la politique du logement social en général, elle ne poursuit pas un objectif d’intérêt général, elle veut se concentrer sur quelques exemples de communes clouées au pilori médiatique pour tenter de prouver que le gouvernement agit.

Par ailleurs, à continuer de vouloir construire en zones urbaines tendues, le gouvernement crée une difficulté supplémentaire. Quel sens y a-t-il à vouloir densifier encore alors que les conditions ne sont pas réunies pour accueillir de nouveaux habitants ? Que l’on songe seulement aux crèches, aux écoles ou aux équipements sportifs ? Pense-t-on pouvoir construire du jour au lendemain les équipements publics requis alors qu’il n’y pas de foncier disponible ?

Et, plus profondément, le gouvernement s’interroge-il sur les conditions dans lesquelles s’inscrivent les programmes de logements sociaux, comme le font les maires au quotidien ?

Sur le terrain, nous sommes nombreux à observer qu’il est plus efficace de développer des programmes de logements sociaux à taille humaine, progressivement, pour tenir compte à la fois des besoins des demandeurs de logements et laisser le temps aux habitants de s’habituer à l’idée que la mixité peut être bien vécue.

L’expérience montre qu’en matière de logement social, il vaut mieux prévoir des aménagements mixtes, et anticiper la nécessité éventuelle d’accompagner les fragilités des publics qui y vivent, plutôt que de créer des poches de détresse sociale qui risquent de renforcer les phénomènes d’exclusion des banlieues tout-béton.

Plus préoccupant, le texte entend apporter un contre-pouvoir aux Maires en élargissant les prérogatives des EPCI et les pouvoirs du préfet par substitution. Quel bénéfice espère-t-on obtenir en éloignant le demandeur social de la commune ?

Plutôt que de contraindre, il faut libérer la construction de logements ; se concentrer sur les publics les plus fragiles ; aider les personnes plutôt que les bailleurs ; favoriser le parcours résidentiel jusqu’à l’accession à la propriété ; mettre fin progressivement à la loi SRU et préférer le contrat avec les communes et les territoires aux mesures coercitives inefficaces.

Depuis quatre ans, ce gouvernement s’érige tantôt en censeur tantôt en procureur pour niveler par le bas, opposer les acteurs, et recycler les vieilles recettes qui n’ont pas jamais porté leurs fruits. Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que l’on s’inscrive, avec ce texte, dans un affichage caricatural en matière d’égalité.

Quant au titre III, le groupe Les Républicains souscrit au renforcement des conseils citoyens dans la politique de la Ville, et aux actions envisagées pour l’amélioration de la maîtrise de la langue française et à la valorisation des apprentis. Il appuie naturellement les dispositions visant à l’amélioration de l’égalité homme/femme, même s’il n’offre aucun début de solution à la question centrale de l’égalité salariale. Mais on reste loin, très loin des attentes des Français.

Il est regrettable de devoir exprimer une position qui se limite à donner des bons et des mauvais points à des mesures prises isolément, sans philosophie d’ensemble.

Ce projet de loi est la triste illustration du grand écart entre un gouvernement désarticulé, avec une majorité divisée, et des Français désabusés.

Le Parlement n’a pas réussi à trouver un terrain de consensus sur un texte équilibré, et nous sommes revenus au point de départ avec un projet de loi dont on retiendra surtout qu’il veut porter atteinte au principe de libre administration des communes, pourtant garanti par la Constitution.

Ce projet de loi oppose une fois de plus les acteurs, et ne parvient pas à intéresser, encore moins à rassembler. Ce texte commet la triple erreur de rigidifier encore le secteur du logement social, de n’engager aucune réforme de fond, et de n’offrir aucune forme d’espérance à un pays en crise.

Dans quelques mois, l’alternance permettra de remettre l’ouvrage sur le métier pour porter un véritable projet d’avenir, qui soit, cette fois, porteur d’espérance.